22 sept. 2006

Le Travel Retail est-il sélectif ?

Le travel retail, c'est-à-dire le circuit de distribution dans les "lieux de voyage" (aéroports, croisières...) obéit à des lois bien spécifiques. Comparé au parfumerie et aux grands magasins en ville, le travel retail bénéficie d'une clientèle potentielle très nombreuse et captive ("coincée" dans l'aéroport...) , proportionnellement plus masculine (un public a priori moins connaisseur), qui s'attend à des prix moins élevés (même dans les zones où le duty free ne s'applique pas, les clients s'attendent à une décote), à la fois plus pressée (elle va bientôt prendre son avion) et plus disponible (en attendant son avion, elle n'a rien d'autre à faire...).

Pour toutes ces raisons, les marques de parfums et cosmétiques accordent à ce circuit bien particulier un traitement bien particulier, à commencer par des prix plus bas et une offre adaptée. Dans les linéaires soin et maquillage, c'est une guerre sans merci entre coffrets promotionnels et kits exclusifs ("4 teintes best-sellers de rouge à lèvres" etc...), tous estampillés de l'inévitable "travel retail exclusive" qui ne dit pas grand chose au client moyen (un opérateur lance d'ailleurs une mention "Airport Special" plus compréhensible, voir l'article d'une pro du Travel Retail sur son blog Ouverture sur le monde). Les couleurs vives sont de rigueur, en particulier le rose fluo qui garantirait l'affluence immédiate des clients asiatiques, très friands d'achats cosmétiques en aéroport.

Et pour cette offre spécifique, il y a une star : le parfum exclusif travel retail.

Dior a été la première marque a prendre la mesure de l'essor du travel retail et à créer une gamme complète d'offres spécifiques, intitulée Dior Voyage. Et de la même façon, Dior a été le pionnier des parfums exclusifs travel retail, créant ainsi une nouvelle catégorie de parfum. Dior en a inventé la mécanique à l'aube des années 2000, : une eau de toilette légère, un parfum simple et sans prétention, un packaging aux couleurs vive, un nom et un concept très accessibles. Les premières années, l'offre se destine d'abord à l'homme d'affaires pressé qui cherche un cadeau pour sa douce moitié (Forever and Ever, Remember Me, Lily), puis le parfum exclusif connait un revirement "fashion", célébration de la marque et de son énergie créative (I Love Dior, Chris 1947, Dior me Dior me not, Dior Star...) . Coup de théâtre, précisément au moment où ses grands concurrents font leur entrée dans le segment, Dior annonce en 2006 la fin des parfums exclusifs, en cohérence avec une stratégie de montée en gamme voulue pour l'ensemble de la marque, sur tous ses marchés.

Il faut dire que le parfum travel retail a généralement un trait distinctif : plus simple, plus léger, plus fashion, il fait "cheap" et tend à tirer la marque vers le bas. Par ailleurs il nécessite de gros investissements en développement et en promotion sur le point de vente, reléguant au second plan les grands parfums de la marque. Dior a souhaité tirer un trait sur cette stratégie qui ne construit pas l'image de marque sur le long terme.

Dans le même temps, observant le succès de Dior, ses concurrents ont souhaité s'investir sur ce segment qu'elles avaient trop longtemps délaissé : Lancôme (seule marque a dédier une partie de son site internet au travel retail) avec Connexion puis Tropiques; Guerlain avec successivement With Love, Precious Heart, Love is all, Colours of Love, et deux opérations exclusives pour un opérateur duty free, Vetiver pour Elle puis Lights of Champs-Elysées; Givenchy avec Only Givenchy; Azzaro avec Jetlag, premier parfum exclusif pour homme... Globalement il s'agit davantage d'une volonté opportuniste de ne pas laisser filer du chiffre d'affaires potentiel et ne pas se laisser distancer par les concurrents qu'une envie de réellement construire à long terme un succès. Il faudrait rajouter à cette liste d'initiatives parfum dédiées au travel retail les parfums connus en format voyage (dont les très beaux Ryoko de Kenzo) et les coffrets promotionnels spécifiques.

Car en travel retail, point de long terme : il semble que seul l'attrait de la nouveauté gouverne le client. Une nouveauté toute relative, puisque terriblement semblable à la précédente nouveauté. L'environnement concurrentiel, lissé à l'extrême par une offre complètement standardisée, aurait-il étouffé la créativité des marques ? Qu'en pensez-vous ?

Crédit photo : Dior / source : images de parfum

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour Cosmeo,
Merci pour ton commentaire sur mon blog et cette citation. C'est très sympa. Très belle note de ta part. Ca résume assez bien la situation du TR.

Pour répondre à ta dernière question, l'attrait des marques pour les éditions limitées en TR n'est pas uniquement liée au client en soi. Il se trouve que en TR, où l'acte d'achat est très rapide, la décision doit se faire rapidement. Ainsi, une offre très "visible" permet d'attirer le chaland. Il est plus facile pour un commercial de négocier un podium dans le cadre d'un lancement que dans le cadre d'une opération classique de mise en avant de produits stratégiques, d'autant plus que selon le secteur géographique les best-sellers ne sont pas forcément les même. Les opérateurs sont assez friands de ces nouveautés exclusives qui apportent un plus à leur offre et les différencie complètement de points de vente standards hors du marché TR. Proposer une exclusivité en Duty-Free ou en compagnie aérienne va nettement influencer l'achat d'impulsion car "si je ne l'achète pas maintenant... je ne le retrouverai pas". Je me rappelle il y a qq années... nous n'avions pas d'opé ou de lancement à proposer aux opérateurs. Catastrophe pour les commerciaux qui voyaient les podiums leur passer sous le nez. Ainsi, le temps pressant, j'avais soumis l'idée de créer une animation complète sur les féminins de la gamme, le tout avec visuels spéciaux à base de couleur turquoise - une horreur à faire accepter pour une marque dont le code couleur était le bleu marine & or - et avec de la musique sur les podiums - une première à l'époque. Les opérateurs avaient bien accroché à l'idée de créer du trafic avec la musique. Sur certains points de vente, les ventes avaient explosé. Seul point faible d'une telle opé: elle n'est pas applicable en compagnie aérienne. D'où l'intérêt des EDT exclusives....
Enfin le problème de la créativité est lié à l'envie de faire de la "masse" plutôt que du très ciblé: une fragrance facile qui plaira à un maximum de personnes (on ne prend pas de risque olfactif et on n'apporte que peu de personnalité au parfum). Un prix d'appel (donc minimiser les investissements et les matières premières trop chères). Des couleurs vives pour attirer le regard... et on tourne en boucle!

Anonyme a dit…

Bonjour Cosmeo,

Merci pour ton commentaire sur mon blog et la citation!! C'est très sympa.
J'avais répondu à ta dernière question mais le site n'a rien pris en compte ainsi je vais la re-faire mais bref ce coup ci!!

En gros, TR= acte d'achat rapide donc aider le consommateur dans son choix et l'amener à acheter au + vite. Les opérateurs sont assez friands d'opérations promotionnelles et de podiums qui créent du trafic dans leurs points de vente. Lancer une nouveauté est le meilleur moyen pour les commerciaux de négocier le + de podiums et donc de doper la part de marché de la marque et faire beaucoup de ventes aux opérateurs dans le cadre de l'opération. L'exclusivité TR apporte un vrai plus aux boutiques Duty Free et aux compagnies aréiennes car ca facilite l'achat d'impulsion sur le principe de "si je ne l'achète pas maintenant je ne pourrai plus l'acheter ensuite..."
Le manque de créativité que tu soulignes est plus lié à la volonté de faire de la "masse" plutôt que de l'hyper ciblé: une fragrance "facile" (avec des composants qui plairont au + grand nombre), des couleurs flashy pour attirer l'oeil et un prix d'appel (donc minimiser les investissements, le temps et utiliser des matières premières + accessibles pour ne pas réduire les marges)... on finit vite par tourner en rond!
Il y a qq années, en manque de lancement et pour permettre aux commerciaux de négocier des podiums, j'avais proposé une opération basées sur les best-sellers de la marque sur chaque zone géographique pour créer une opération vendable dans le monde entier avec 1 seul concept. Le tout enrobé d'un visuel flashy qui a eu du mal à être accepté dans une marque où le code couleur était le bleu marine & or alors on a opté pour un turquoise et marine histoire de ne pas heurter les sensibilités et permettre d'attirer l'oeil - tout de même. Enfin, le top était d'avoir mis de la musique sur les podiums - une première à l'époque - idée reprise ensuite par PCD... génération de trafic garanti grâce à la combinaison vue & ouie!!

bonne continuation!!

Anonyme a dit…

très belle analyse ..