La cosmétique de luxe fait-elle école ?
L'expérience de la cosmétique de luxe peut sans aucun doute se réveler très instructive pour de nombreux secteurs. En effet, la volonté de monter en gamme est partagée par un nombre croissant d'acteurs (grande consommation, textile), mais les recettes du luxe ne sont pas aisément transposables en l'état.
La cosmétique de luxe fait exception : c'est typiquement un secteur hybride, luxe par son image mais à grande diffusion dans sa structure, les grandes marques doivent jongler avec ces réalités opposées. Une double casquette dont j'ai déjà parlé dans une précédente note, que je vais tenter d'aborder différemment cette fois-ci.
Le luxe fait-il école ? Le Nouvel Economiste a interrogé des experts de différents secteurs, et leur premier constat est que la grande consommation (Procter, Unilever, Danone...), après avoir longtemps fourni au secteur du luxe des experts du marketing, appelle aujourd'hui les talents du luxe à la rescousse. Car le luxe fait recette, permet de sortir des logiques de prix rationnel et de faire exploser les marges (40-50% dans le luxe contre 13.5% chez Danone...), crée de nouvelles approches dans la gestion de l'image de marque, le développement des produits, la relation clients...
Pour s'inspirer du modèle du luxe, la grande consommation doit d'abord trouver une valeur ajoutée plus immatérielle à son image de marque, recréer le rêve. L'éthique et le bio sont des tendances porteuses pour lesquels les consommateurs sont prêts à payer plus cher. Des griffes bon marché tels Mango ou H&M parviennent à théâtraliser la marque (collection éphèmère de couturiers de renom, top-models dans les publicités). Même une proposition avec une image haut de gamme comme Monoprix Gourmet s'inscrit dans cette tendance. Il s'agit de se différencier des concurrents, de fidèliser les consommateurs, et d'améliorer les marges sur des segments de produits a priori bon marché.
L'esprit du luxe dans les produits grand public prend notamment de la place dans les phases amont de développement des nouveautés, avec le recours à l'intuition. La newsletter marketing de l'ESCP-EAP note que les études quantitatives, rationnelles, perdent de leur pouvoir de prédiction face aux revirements incessants dans le comportement des consommateurs, d'où un retour en force des études qualitatives et prospectives. Il ne s'agit pas d'une nuance mais d'une remise en cause d'un principe fondamental : car les études quantitatives mettent en lumière des tendances fortes et massives, des envies communément partagées par les consommateurs, alors que les études prospectives s'appuient d'abord sur des "signaux faibles", des besoins encore minoritaires, dont on estime qu'ils pourraient s'avérer de plus grande ampleur. Cette approche moins rationnelle, plus intuitive, permet de débanaliser et différencier l'offre. Elle est évidemment plus risquée. Ce sont ces études prospectives qui ont mis en valeur certaines des tendances qui valorisent aujourd'hui l'offre grande conso : le marketing tribal, le marketing écologique et bio, l'approche expérientielle...
J'ai déjà parlé dans ce blog de la fameuse "shopping experience", cette volonté communément partagée par les marques de luxe de ritualiser et théâtraliser l'acte d'achat pour le rendre moins banal, plus marquant, plus émotionnel. Si on entre toujours dans une parfumerie ou un grand magasin pour y être guidé, servi, conseillé, les marques et les distributeurs (Sephora y excelle avec la création de services, d'animations...) ont bien saisi qu'il fallait aller plus loin. C'est une tendance tout aussi forte pour des produits plus basiques, qu'il s'agit de rendre plus émotionnels. La même newsletter marketing m'apprend que le cinquième site touristique français n'est ni le Musée d'Orsay ni Versailles, mais un magasin spécialisé du 12e arrondissement : Surcouf ! L'enseigne est parvenu à réenchanter l'acte d'achat dans l'informatique en transformant la surface de vente en scène de spectacle, à l'image de Natures & Découverte et Résonance, les librairies américaines Chapters etc... In fine, cette expérience plus forte justifie plus naturellement une politique tarifaire plus élitiste.
La cosmétique en général, et la cosmétique sélective en particulier, est également un secteur où on sait particulièrement gérer un afflux de nouveautés tout en conservant une cohérence de ligne, de marque. Si pendant des années, des acteurs de l'alimentation par exemple ont surtout excellé à gérer leur capital produit, la tendance est aujourd'hui à un renouvellement plus rapide. Coca-Cola est un exemple parlant : jusqu'à une période récente il fallait se contenter du choix entre le Coca-Cola original et sa version Light, ces dernières années le rythme d'innovation s'est accéléré avec les versions "vanille", "lemon", "lime", "blak", "cherry"... Autant de flankers, comme on dit pour un parfum, pour lesquels la cosmétique pourrait apporter une expérience sans égal.
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