Attention : interview passionnante ! Artiste-peintre plasticien et théoricien en buzz communication : Stéphane Galienni met cette double casquette atypique au service de marques désireuses de bénéficier pleinement de la caisse de résonance sans égal qu'offre Internet, avec éclat et créativité. Un talent indéniable dont témoignent ses deux opérations, pour Jean-Paul Gaultier et Lancôme. Quand le buzz rencontre l'art...
Comment es-tu devenu "créateur de buzz" pour des marques ?
J’ai un profil atypique de communiquant, car le « buzz » a toujours fait partie de ma culture en tant qu’artiste. Après une maîtrise en Art & Communication à la Sorbonne, j’ai débuté en 1998 comme illustrateur chez Publicis, puis comme directeur artistique. A la bonne école, formé par le brillant Eric B. aka Darkplanneur, j’ai appris les grands principes du métier de créatif mais surtout une solide culture publicitaire. En 2003, je quitte le Groupe pour revenir à mes activités artistiques, notamment la peinture. Fourmillant de projets et de rencontres, je navigue entre commandes publicitaires et artistiques, notamment aux côtés d’Alexandre Very et d’Emmanuel Vivier, avec qui nous formons le trio fondateur du portail Culture Buzz.
Je réalise par la suite de nombreuses campagnes « buzz » pour de petites et grandes agences parisiennes, de 2003 à 2007, avec toujours à l’esprit l’envie de créer, d’innover. Hors agence, je travaille directement pour l’industrie du luxe qui cherche ses repères sur le net. D’abord sur le concept viral de lancement pour Terre d’Hermès, puis sur Fleur du Mâle de Jean-Paul Gaultier, et enfin Trésor de Lancôme. Je conseille d’ailleurs actuellement davantage d’annonceurs du secteur luxe, culturellement et traditionnellement habitués à collaborer avec des artistes.
Comment as-tu découvert Second Life ?
J’ai découvert Second Life comme tout le monde, mais un tout petit peu avant tout le monde ! J’ai ouvert un compte en 2005 mais j’ai commencé à m’y intéresser vraiment en septembre 2006, avec l’implantation de Dior. Curieux d’y remettre les pieds, j’ai découvert un monde passionnant, révolutionnaire, étonnement créatif, et plein de possibilités !
Contrairement à beaucoup de mes confrères blogueurs, je pense que Second Life est un phénomène de fond, dont la courbe d’adoption est relativement longue sur le média Internet. La découverte du phénomène en cette année 2007 n’est que la conséquence du dépassement d’un "tipping point", un point de bascule qui assure maintenant son rythme de croisière …L’avenir de Second Life est résolument le développement de nouvelles expériences d’immersions dans le média Internet, donc porteur d’avenir. Et si le web 3.0 était un web en 3D participatif ?
Tes deux dernières opérations dont j'ai connaissance, Fleur du Mâle et Trésor sont très différentes : Second Life est le coeur du dispositif de la première, et davantage un relais pour la seconde...
Picasso disait « ne jamais faire deux fois la même chose »…De la même manière, j’ai toujours conçu des campagnes comme des pièces uniques et sur mesure. Or, l’avantage avec le monde du luxe et du parfum, c’est qu’il y a toujours une histoire à raconter. Chaque proposition scénaristique selon moi doit être propre à l’ADN de la marque, évocatrice de son sens caché, du message inconscient qu’elle délivre. Un ré-enchantement permanent.
L’éclosion de fleurs virtuelles sur Second Life au premier jour du printemps pour Fleur du Mâle est une proposition poétique et surréaliste, redoublant d’efficacité marketing en terme de sens et de visibilité. Mais si Second Life est l’épicentre de la campagne buzz, la stratégie d’approche RP et de propagation virale a été orchestrée à l’extérieur du monde virtuel : le choix ou «casting» des influents a été déterminant sur cette campagne car il fallait sélectionner des blogueurs a priori prescripteurs du créateur Jean-Paul Gaultier mais qui, en plus, étaient visiteurs occasionnels ou résidents assidus de Second Life. Après le happening virtuel, il faut savoir qu’une soirée privée a eu lieu dans la vraie vie, à la Maison Blanche, où les influents se sont vus offrir de vraies roses blanches ainsi qu’un flacon 75 ml du parfum. Sur les 30 influents sélectionnés, 28 ont acceptés l’invitation et sont venus sur Second Life. Avec un taux de retour à 98% d’avis neutre ou positif sur les 120 blogs monitorés, on peut considérer que l’approche qualitative est bien payante.
Il faut donc comprendre que l’implantation d’une campagne sur Second Life doit être transversale à d’autres moyens, comme les blogs par exemple. Pour la révélation de la nouvelle égérie de Trésor, Kate Winslet, il est intéressant de noter l’éventail d’une communication à 360° : tandis que Kate Winslet est révélée à un dîner privé réunissant 180 VIP presse au musée Rodin, une dizaine de VIB (very important blogueurs) assistaient à cette révélation depuis l’Institut Lancôme tandis que 60 autres avatars vivaient l’instant au pied de la tour Eiffel du Paris virtuel, sur Second Life. Trois approches, mais aussi trois publics différents, tous leaders d’opinions dans des environnements reliés à la marque. Le relais du buzz prend aussi quand le dispositif lui-même donne matière à parler.
A quel stade interviens-tu : en amont, pour créer le concept même de l'opération, plus en aval pour contacter les blogueurs et leur faire connaitre l'opération, plus loin encore pour maintenir le buzz... ?
J’interviens à chaque stade, en amont et en aval, mais à des niveaux d’implications différents, où je peux déléguer l’opérationnel à des partenaires compétents. J’ai d’ailleurs ma propre théorie là-dessus, inspiré de mon expérience à mi-chemin entre l’art et la publicité. C’est une forme d'«art balistique » qui consiste à négocier le bon message au bon moment, dans la bonne direction…et à la bonne personne ! Il faut prendre en considération tout un ensemble de paramètres risquant d’interférer ou de perturber le message viral durant sa propagation, en amont.
Dans la pratique, les techniques de marketing viral ou buzz marketing sont devenues tellement standard qu’il faut toujours trouver un angle d’attaque créatif juste - pas trop avant-gardiste ni déjà-vu – pour pérenniser sur un message impactant mais ouvert, permettant de multiples rebondissements.
Qu'est-ce qui t'a amené à accepter ces collaborations ?
L’argent, bien sûr ! Mais pas seulement. Ancien salarié d’agence, puis consultant indépendant et surtout artiste, j’ai aujourd’hui le luxe de choisir mes clients, ou en tout cas de refuser une commande. De ma trentaine confirmée, j’accepte une collaboration si elle me fait découvrir de nouveaux chemins ou de nouveaux défis, comme second life par exemple.
Comment la blogosphère accueille-t-elle ces initiatives de la part des marques ? quelles sont les choses à faire et à ne pas faire sur Second Life ?
Pour Second Life, il n’y a pas de règles, c’est vraiment la conquête d’un monde virtuel avec ses pionniers et ses terres promises…Je ne crois pas à des recettes miracles mais vraiment au cas par cas. Donc je dirais que ce n’est pas Second life qui importe, mais le discours que la marque souhaite y établir. Puis, après une première phase de découverte ouverte par les marques pionnières, les annonceurs vont devoir maintenant s’implanter avec une stratégie long terme, et considérer Second life comme un vrai média plus qu’un gadget RP.
Comment la blogosphère et les fans de Second Life jugent-ils ton rôle ?
Les blogueurs ne me situe plus très bien, je crois ! Artiste-touche-à-tout, buzzer, blogueur, pocketfilmer, performer, consultant…mon blog est devenu un incroyable fourre-tout de mes activités ! En réalisant des happenings virtuels sur Second life, je pense qu’on doit me prendre vraiment pour un extra-terrestre ! De l’autre côté, les puristes de SL me connaissent mais il faudrait que je m’immerge davantage dans ce monde pour devenir leur « ami ». J’ai traversé suffisamment de milieux communautaires pour comprendre les limites du genre, ce qui m’intéresse c’est comprendre l’éco-système d’un groupe social. Je crois que l’artiste a pour rôle d’être un « passeur d’idées », donc à la frontière de beaucoup de communautés !
Y'a-t-il encore une méfiance des blogeurs vis-à-vis des tentatives de séduction des marques ?
La vulgarisation de la pratique buzz génère aujourd’hui de la buzz victim. Les blogueurs prisés par les agences et les annonceurs ne font finalement plus que relayer du buzz ou tester des produits, ce qui devient improductif pour tout le monde. Le triple jeu annonceur-agence-blogueur est en train de se réinventer, notamment par l’événementiel qui redonne la place à l’humain et l’émotion sur la découverte d’un produit ou d’un service. C’est particulièrement valable pour le luxe, où la notion de service et la politique relationnelle prime.
La publicité dans sa globalité est déjà omniprésente alors autant respecter, sur un média qui l’autorise, la relation qui unit une marque et un ensemble de consommateurs appropriés. Avec les blogs, on passe du support au « supporters » de marque.
Je crois surtout que le modèle prédominant en 2008, sera celui de « brand community » avec de nouveau métier comme le « community relation manager » et des nouveaux terrains d’adoption comme facebook, Twitter ou Second Life.
Qu'est-ce que ces opérations de buzz apportent particulièrement aux marques de luxe ?
Si le buzz repose pour beaucoup sur les blogueurs, la blogosphère se divise aujourd’hui en constellations d’affinités. Or, on arrive aujourd’hui a la limite de la pratique avec un nombre croissant de campagnes « buzz » calquées les unes sur les autres et qui participent de surcroît au brouhaha général ! Je crois que le luxe a une histoire différente à raconter, mais par un mode opératoire plus subtil pour une cible qualifiée. C’est en limitant l’accès à son monde et ses secrets que les marques du luxe feront le plus bel effet. Le luxe n’a pas besoin de crier pour se faire entendre. Le luxe est chuchotement.
Un grand merci à Stéphane d'avoir répondu à mes questions.