13 nov. 2006

Come into the blue ocean...

Préférez-vous nager dans les océans rouges ou les océans bleus ? Pour W.Chan Kim et Renée Mauborgne, auteur de Blue Ocean Strategy: How to Create Uncontested Market Space and Make Competition Irrelevant, le choix est évident.

Red ocean ou blue ocean ?

La grande majorité des sociétés suivent une Red Ocean Strategy, comme les requins concentrés dans le même coin d'océan (par conséquent sanglant, d'où l'image très évocatrice du Red Ocean). Dans le cadre étroit d'un marché existant, elles luttent contre leurs concurrents directs en cherchant à leur prendre des clients. L'enjeu est alors de se concentrer sur son avantage compétitif. Cette stratégie ne serait pas profitable à long terme, contrairement à la Blue Ocean Strategy.

La Blue Ocean Strategy (1) consiste à s'intéresser à des recoins inexplorés de l'océan : créer de nouveaux marchés, créer et capter de nouvelles demandes, se créer une position incontestée dans ces nouveaux domaines où les concurrents n'auront pas leur place. L'enjeu est alors de découvrir ces blue oceans, de les exploiter et de les préserver. Les blue oceans sont soit des activités totalement nouvelles, soit de nouvelles opportunités à l'intérieur d'un marché donné.

La cosmétique : a red ocean with blue spaces...

Un marché peu dynamique, une clientèle plus difficile, une profusion de marques : la lutte sur le red ocean de la parfumerie ne devrait pas faiblir. Les grandes marques ont tendance à se concentrer sur les mêmes recoins les plus sanglants de l'océan (exemple en 2006 : l'anti-âge global, les soins extrêmement chers, le rouge à lèvres, les parfums féminins cœur de cible 30 ans…), certes les plus poissonneux mais également ceux qui attirent le plus de prédateurs. Certains blue spaces d'hier sont aujourd'hui "sauvagement" attaqués (exemple en 2006 : les fragrances exclusives travel retail).

Face à ce marché ultra-concurrentiel, sans même parler de blue ocean (grands territoires inexplorés), les marques peuvent déjà identifier des espaces plus paisibles, des blue spaces… Quelques exemples :

Désaisonnaliser - L'hyper-concurrence est accentuée par une très grande saisonnalisation des lancements : sur un même segment, tous les lancements majeurs sont concentrés sur une même période (soins en janvier, mars et septembre; parfum en avril-mai et septembre-octobre; maquillage en mars-avril et septembre). Au point que certains lancements paraissent avoir trouvé un semi-blue space uniquement par une contre-programmation qui garantit une meilleure visibilité : par exemple, quand ses rivaux sont lancés avant l'été, le saisonnier d'Emporio Armani est lancé fin août. Mais il se retrouve dans la mêlée quelques semaines plus tard quand les grandes nouveautés parfum arrivent sur les linéaires début ou mi-septembre. De même, Terre d'Hermès a d'autant mieux marqué les esprits qu'aucun concurrent sérieux n'a été lancé au premier semestre 2006.

Sortir du cadre étroit du circuit de distribution actuel - Prenons l'exemple de la distribution sélective. Même si elle est clairement dans une phase de modernisation, de renouveau, et qu'elle cherche à repousser ses propres frontières, la distribution sélective est à elle seule un red ocean : dans les parfumeries et grands magasins, les marques sont en concurrence frontale avec leurs concurrents, avec la même mise en avant, dans un même espace. Il faut aller justement là où les concurrents, d'un prestige équivalent, ne sont pas présents. Thierry Mugler Innocent Secret s'ouvre aux magasins Victoria's Secret aux Etats-Unis et au Club des Créateurs de Beauté en France (lire ma note sur Innocent Secret), Lancôme s'offre un point de vente dédié à New York, Clarins ne délaisse pas les instituts outre-manche… Dans le même ordre d'idée, Sephora a trouvé dans sa sélection de marques exclusives, et dans une offre de service (nail bars…) fortement soutenues, un moyen de se distinguer de ses concurrents autrement que par le prix.

Monopoliser des red oceans - C'est l'effet chez L'Oréal de la stratégie de de cascading (une même innovation reprise par plusieurs marques du groupe et lancée sur une période de quelques mois) : tous les requins d'un même créneau appartiennent à la même famille. Ils se lancent quasi-simultanément sur un même segment de marché. Encore faut-il que la clientèle morde à l'hameçon en masse, car plus le red ocean est étroit, plus la lutte est sanglante.

Bon, assez de métaphore aquatique. Comment identifier les blue oceans du parfum et de la cosmétique ?

Les différents exemples que j'ai cités ne sont pas de réels blue ocean : il ne s'agit pas à proprement parler d'innovation pure, de création de nouveaux marchés, de réponse à des demandes émergentes. C'est en effet sur ces nouveaux gestes, ces nouvelles attentes que tout se joue : quelle sera la nouvelle idée rupturiste qui va faire sensation, générer un buzz sans précédent, devenir incontournable sur le marché ?

Première étape essentielle : à chaque société de bien identifier quel est son red ocean et les opportunités les plus immédiates à saisir (blue spaces).
- Quelle est ma distribution, est-elle incontournable ? Si oui, comment transformer la manière dont je suis présent dans cette distribution (merchandising permanent, animations ponctuelles…) pour me singulariser ? Existe-t-il des modes de distribution complémentaires et originaux, pour un produit en particulier ou pour l'ensemble de mon offre ?
- Quels sont mes concurrents, se ressemblent-ils ? Me ressemblent-ils ? Que font-ils tous que je pourrais faire différemment ?
- Quels sont mes produits phare, sont-ils différents ou proches de leurs concurrents ? Leurs concurrents directs sont-ils les produits phare de mes concurrents ou sont-ils secondaires pour eux (par exemple, les soins du corps forment un segment stratégique pour Clarins, pas pour Lancôme) ? Y'a-t-il des segments phare de mes concurrents que je n'ai pas explorés ? Dans mes segments majeurs, quels nouveaux gestes inventer ?
- Quels sont mes consommateurs, sont-ils uniquement présents dans ma distribution ? Utilisent-ils uniquement le type de produits que je propose, en utilisent-ils / en aimeraient-ils d'autres ? Sont-ils tous concernés par mon offre ? Qui sont ceux qui n'utilisent jamais mes produits, pourquoi, qu'est-ce qui les ferait changer d'avis ?

Etape suivante, exaltante mais intimidante, un travail de reflexion prospective et créative s'engage pour découvrir les blue oceans. C'est souvent à la croisée de deux segments, ou par glissement d'une idée forte d'un secteur vers un autre, que se situent ces grandes idées. Les techniques de brainstorming créatif sont notamment là pour enrichir le faisceau d'idées générées.

Troisième étape et non des moindres, agir, mettre en mouvement une marque, imposer l'idée en interne et en externe : c'est l'étape la plus délicate, car on vise parfois le blue ocean, et à force de vouloir s'arrimer à des territoires connus et rassurants, on peut facilement revenir dans les filets dérivants du red ocean. Dans un univers aussi codé, aussi normé que le parfum et la cosmétique, s'il est possible d'avoir une idée vraiment nouvelle, il est parfois très difficile de convaincre de sa valeur !

Les blue oceans peuvent être partout. On peut citer des produits qui ont ouvert de nouveaux segments, telle l'Eau Dynamisante de Clarins, à la frontière du soin et du parfum, ou Idealist de Lauder, à la frontière du soin et du maquillage. Ces deux produits sont aujourd'hui encore des best-sellers. Leur blue ocean reste encore relativement calme. Avez-vous en tête d'autres exemples de blue oceans, dans l'univers de la beauté ?

(1) 2 sites de référence (redondants) desquels j'ai extrait la description de la Blue Ocean Strategy : Value Based Management / Blue Ocean Strategy et 12 Manage.com / Blue Ocean Strategy


Crédit photo : Getty

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