17 déc. 2006

Ruée vers l'Est : le parfum en Asie

L'Europe de l'Ouest et l'Amérique du Nord, les deux gros poids lourds du marché du parfum, sont aujourd'hui proches de la stagnation, et les prévisions Euromonitor ne sont pas optimistes. La concurrence y est d'autant plus féroce. Si les grandes marques cherchent sur ces territoires des relais de croissance, par exemple de nouvelles cibles jusqu'ici un peu délaissées (les ados, notamment), elles regardent également avec beaucoup d'attention le potentiel de développement des autres zones : Amérique Latine, Europe de l'Est, et surtout l'Asie.

La ruée vers l'Est

L'Asie est d'abord et avant tout un marché de soin et de maquillage. Au Japon, les femmes sont plus attentives à la qualité de leur peau (soin et fond de teint) que par le fait d'être remarquée (lire cette note). D'où une culture du parfum moins développée qu'en Europe.

Le marché du parfum en Asie repose traditionnellement sur la culture du cadeau : le parfum s'offre comme un bel objet, il est souvent conservé à titre de collection, parfois sans jamais être porté. Chanel a toujours largement investi sur ses parfums classiques au Japon, sans adaptation locale : le N°5 y reste la référence, un cadeau de prix. Ces investissements pourrait bien bien se révéler grandement profitables à long terme, établissant Chanel comme un expert du parfum au moment où le marché du parfum évolue dans le bon sens.

En effet, les temps changent : les économies en difficulté renouent avec la croissance, une nouvelle génération de consommateurs apparait, et surtout les marques lancent des parfums ciblant l'Asie, intégrant les contraintes de la culture locale. Euromonitor prévoit une croissance de 6.1% par an d'ici 2010, bien supérieure à la croissance des marchés matures.

La newsletter de beauty-on-line donne quelques clés pour le Japon, reprenant des chiffres d'Euromonitor : la part du marché du parfum est très faible (le chiffre cité dans la newsletter est de 2%, il n'y a pas un parfait consensus sur ce point entre les sites), mais la concurrence y est moins âpre. Les marques locales ont en effet historiquement moins misé sur le parfum, proposant des fragrances bon marché et peu attrayantes, laissant la voie libre aux groupes internationaux. Le marché étant restreint, il ne serait de toute façon pas vraiment rentable d'investir sur des parfums uniquement vendus localement, et par ailleurs les consommateurs japonais associent le parfum au mode de vie occidental et ont donc le reflexe de préférer les marques étrangères. En 2004, 95% des parfums sélectifs sont proposés par des marques étrangères. Le reflexe parfum se développe cependant parmi les jeunes générations, notamment sous l'impulsion des parfums "Asia-only" des marques internationales.

Parfums "spécial Asie"

Quels sont les parfums les plus adaptés aux asiatiques ? La recette des parfums spécial Asie est en fait déjà bien maîtrisée : les marques ont pu l'expérimenter avec les parfums spécifique travel retail, par exemple, dont les clients principaux étaient déjà les asiatiques.

A quoi ressemble un parfum "spécial Asie" ?
La clientèle est d'abord une cible très jeune et très orientée tendance. D'où un mix marketing (concept, jus, pack) très accessible. Le jus est léger, discret et facile. Le packaging utilise des couleurs vives, dans un esprit "girly", puisque la clientèle est d'abord la jeune génération. Autre point majeur : si les marques s'emploient en Europe et en Amérique à faire du parfum un produit très aspirationnel, fortement évocateur, le reflet d'une tradition vieille de plusieurs siècles, une part d'éternité dans notre monde de brutes, la vision asiatique est très différente. Le parfum y est un produit de consommation comme les autres, un accessoire "mode" qui explique le succès des éditions limitées et autres déclinaisons packaging, plus habituel dans l'univers maquillage. Là encore, c'est le bel objet qui prime sur la fragrance.

A noter que le parfum spécifique Asie, lancé en priorité sur ce marché, peut trouver également une clientèle en occident (USA et Royaume-Uni en tête, à forte tendance "girly"), notamment les plus jeunes, en quête d'une offre plus accessible, moins sophistiquée, moins intimidante.

Plusieurs cas de figure :
- un lancement international s'avère particulièrement fort en Asie et y devient un pilier, comme Baby Doll d'Yves Saint-Laurent, Forever and Ever de Dior (parfum travel retail devenu un "hit" du marché local)... Ces parfums n'ont pas forcément été créés pour plaire aux seules asiatiques, mais dans ce pays ils ont immédiatement trouvé leur public. Par le passé, les fragrances enfantines "Tartines & Chocolat", simples et regressives, cartonnaient particulièrement en Asie.
- une franchise existante est décliné en un flanker lancé internationalement qui s'avère (par accident ou comme prévu) particulièrement adapté à l'Asie, tels le parfum annuel typé fashion d'Escada, Light Blue de Dolce & Gabbana, Incanto Dream de Ferragamo, Eclat d'Arpège de Lanvin et bien d'autres...
- une franchise spécifique est créée pour l'Asie et uniquement pour l'Asie, toute extension hors d'Asie reléverait uniquement d'une opportunité ponctuelle, comme Guerlain avec sa franchise Cherry Blossom (Cherry Blossom, Lovely Cherry Blossom, Cherry Blossom Fruity...)
- une franchise existante donne naissance à un flanker calibré pour l'Asie, et éventuellement étendu à certains pays particulièrement adaptés pour une cible plus jeune : Bvlgari avec Omnia Crystalline et Omnia Améthyste, Azzaro avec Pink Tonic... Pour les marques déjà bien implantée par exemple dans le maquillage, il s'agit d'attirer les jeunes filles déjà fans des looks tendance. Ce que Dior a bien compris en lançant Dior Addict 2, reprenant le nom du parfum Dior Addict (surtout présent en Europe) qui est aussi celui de la ligne de rouge à lèvres fashion de la marque : le parfum a cartonné dans toute l'Asie avant d'attaquer d'autres marchés comme les Etats-Unis ou l'Angleterre. A voir si le nouveau Young Sexy Lovely d'Yves Saint-Laurent suivra cette voie.

Aux grincheux qui déplorent que les marques ne cherchent pas davantage à éduquer les consommateurs asiatiques avec des constructions olfactives plus sophistiqués, je répondrais que nous sommes aujourd'hui dans une phase d'éducation au geste parfum. Une fois que ce geste sera entré dans les moeurs, les consommateurs seront plus enclins à s'initier à des fragrances plus travaillées.

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