6 déc. 2006

Retro-chic

On le sait, les classiques sont une source majeure de business pour les marques : l'Air du Temps, N°5 ou Shalimar... l'héritage des marques, même lorsqu'elles sont toujours dynamiques, constitue une source de business considérable, qu'il s'agit de faire vivre pour ne pas le voir décliner et perdre de sa valeur.

Retro-marketing et parfum

En période de crise et de doute, les consommateurs se tournent vers les valeurs sûres, les produits qui ont fait leur preuve, notamment les succès du passé qui ont marqué les esprits en leur temps. La nostalgie booste les ventes, c'est une évidence. L'Entreprise parle de retro-marketing pour décrire la pratique très répandue en marketing de rénover des produits anciens pour les remettre sur le devant de la scène, de faire du neuf avec du vieux :
- soit par simple habillage : le produit a toutes les apparences d'un produit d'autrefois, mais il s'agit simplement de design et de visuel publicitaire
- soit par reproduction : le produit a bel et bien existé, et est remis en vente presque à l'identique
- soit par réinterprétation : le produit existait jadis, il est totalement revu et corrigé tout en conservant des éléments de son histoire.

Pour aller plus loin, en parfum, rééditer un succès (et pourquoi pas un insuccès !) d'hier est très à la mode : c'est une manière de souligner comment la marque s'est construite, de réaffirmer son ancrage de maison de parfum, de mettre en évidence la richesse de son patrimoine, et grâce à une distribution ultra-limitée, de jouer la préciosité et la rareté sur une poignée de produit (qui est le vrai luxe, après tout) alors que le reste du catalogue de la marque est présent partout. Rien de tel pour exciter l'appétit des journalistes beauté, toujours avides de belles histoires (au sens noble du terme), et créer du lien, de l'émotion avec les clients de la marque. Une stratégie couture, en somme.

La Collection Lancôme (Sagamore, Mille et une Roses, Sikkim, Climat, Magie) ressuscite d'anciens parfums un peu oubliés. Chanel a remis en avant ses "exclusifs boutique", quatre parfums des années 20 (N°22, Cuir de Russie, Gardénia et Bois des Îles). Guerlain a profité de l'inauguration de la Maison Guerlain, sur les Champs-Elysées, pour redonner vie à des créations issues de sa longue histoire (Mouchoir de Monsieur, Violette de Madame, Vega, Derby, et beaucoup d'autres...). D'autres marques ont conçu des gammes tout aussi exclusives, dans un esprit "old school" revisité : colognes d'Hedi Slimane, collection Armani Privé, collection Hermessence pour Hermès... Il ne s'agit pas de parfums anciens, mais de créations contemporaines réalisées avec un brin de nostalgie, fidèles à la tradition.

Bernard Cova, professeur à l'ESCP-EAP, donne les 9 règles de bonne conduite pour un retro-marketing réussi :
1 - repérer un gisement d'authenticité
2 - décoder les détails significatifs des produits mythiques
3 - analyser les codes de pratiques rituelles autour de ces produits
4 - offrir du non-marchand, du non-techno
5 - ancrer l'offre dans un territoire, une tribu, un geste
6 - réinterpréter les détails significatifs du produit authentique
7 - intégrer tous les détails dans un tout cohérent
8 - faire appel à la tribu (de fidèles) pour légitimer l'authenticité de l'offre
9 - agir par vocation et non par intérêt

Pour les marques qui fonctionnent davantage sur des succès plus récents, et n'ont pas comme Chanel n°5 un pilier très ancien sur lequel fonder l'histoire de la marque, il peut être intéressant de revisiter les grands succès d'hier, quoique éteints aujourd'hui. Miss Dior, né en 1947, était toujours commercialisé mais sans être un pilier de la marque : Miss Dior Chérie, lancé en 2005, s'appuyant sur les codes de son ancêtre (packaging, lien en communication avec les collections de la Maison de Couture, notes olfactives...) , a su attirer un nouveau public. Lancôme s'est également inspiré de son parfum historique Magie (en packaging notamment) pour Hypnôse. Rumeur et Nina sont des noms de parfums disparus de Lanvin et Nina Ricci... même si ici il s'agit davantage de pures nouveautés assises sur l'histoire de la marque, plus que de mythes revisités. Les packs se font lourds, massifs, avec des motifs et des formes de jadis. Osmoz parle ainsi de retro-attitude pour évoquer cette tendance aux éléments décoratifs d'hier.

La tradition du parfum est l'un des grands axes de communication du secteur aujourd'hui. Si les années 90 et le début des années 2000 ont été les grandes années du "luxe marketing" (comprenez les apparences du luxe sans l'essence du luxe), avec une lente mais évidente perte de substance du discours des marques. Al'inverse, la tendance récente est à la montée en gamme, à l'enrichissement du discours, au retour aux racines du luxe, au "vrai luxe". Dès lors, l'histoire des marques est leur principale atout, une source inépuisable d'inspiration, de richesse, d'énergie... et de business.

Repérer un gisement d'authenticité revient en fait à identifier des "belles endormies" du portefeuille actuel ou ancien de la marque : quels produits ont en eux une vraie histoire, comment la rendre à nouveau magique, envoutante, étonnante, vivante ? Dès lors, soit le produit apparait toujours actuel et peut, après avoir été subtilement toiletté, peut être re-lancé. Soit le produit fait un peu surranné, et il faut alors réfléchir à la meilleure façon de revisiter le mythe pour le débarasser des détails trop datés et lui redonner sa fraîcheur. En fin de compte, c'est séduire à la fois les amateurs de vintage et les fans de pure nouveauté, qui les uns et les autres pourront ignorer tout du produit et être malgré tout conquis, par ses détails d'hier comme par ses codes d'aujourd'hui.

1 commentaire:

Matthieu Fossoux a dit…

Merci pour ce post très intéressant !